Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                        PARU DANS LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE NUMERO 17 - 2012

 

L’ELOGE FUNEBRE DE MIRABEAU A SOREZE

 Par Claude Pouzol(1)

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  Le 03 avril 1791, Honoré-Gabriel RIQUETI. comte de Mirabeau, décédait en son domicile parisien. La nouvelle inattendue, Mirabeau n'ayant que quarante-deux ans et étant l'image d'une force de la nature, provoqua surprise et intense émotion dans toute la France. Témoin ce document que nous reproduisons ici, qui prouve la consternation des habitants de Sorèze : « Tous les citoyens » se concertèrent avec la garde nationale locale et déléguèrent François FERLUS, moine bénédictin et professeur de rhétorique à l'Ecole Royale Militaire, pour prononcer l'éloge funèbre de l'illustre Député.

 

Ce document qui, à notre connaissance, ne figure dans aucune archive publique, est intéressant pour saisir l'état d'esprit de notre cité, au début de la grande secousse révolutionnaire. Il comblera, nous l'espérons du moins, une partie du vide laissé par les historiens de Sorèze sur cette période passionnante de notre passé local, sans doute faute d'archives détaillées. MIRABEAU

 

A quel moment exact la nouvelle de la disparition subite de Mirabeau fut-elle connue à Sorèze ? Nous ne le savons pas avec exactitude. Cependant, dans son beau morceau d'éloquence, Dom Ferlus parle « des membres voués depuis trois jours à la corruption » (page 15 du document). Ce qui situerait la cérémonie de Sorèze au 6 avril 1791, soit trois jours après la date du décès.

 

Nous ne pouvons ici faire le rappel des évènements qui ont porté Mirabeau au premier plan de la scène politique, depuis sa réponse fameuse au Maître de cérémonies, Dreux-Brezé : celui-ci enjoignait aux députés du Tiers-Etat de quitter la salle où avait lieu la séance royale du 23 juin 1789 : « Allez dire à votre Maître que nous sommes ici par la volonté du Peuple et que nous n'en sortirons que par la force des baïonnettes ».

 

Certes Mirabeau n'eut aucun rapport avec Sorèze. Mais son rôle, comme défenseur des principes nouveaux depuis la réunion des Etats Généraux, lui valut une incontestable popularité dans toute la France. Popularité due, en grande partie, à une éloquence naturelle, ce que son père, toujours critique envers un fils qu'il ne comprenait guère, appelait « la dorure de son bec ».

 

Le comte de Montgaillard, ancien sorézien de l'Ecole Royale Militaire, témoin des foudres de cette prodigieuse éloquence, nous la décrit : « L'amer sarcasme, l'ironie piquante, la mordante hyperbole. la force de la pensée, l'originalité de l'expression, la véhémence du débit, tout cela donnait à ce discours un effet prodigieux (2) ».

 

En réalité, il s'agissait pour Mirabeau d'une sorte de prééminence informelle, qui n'empêchait pas les critiques de nombreux adversaires et surtout une suspicion non formulée à l'égard d'un représentant de la grande noblesse provençale.

 

 

C'était la garde nationale qui l'adulait. Constituée après les évènements du 14 juillet 1789 par l'enrôlement spontané des bourgeois parisiens à l'Hôtel de Ville, cette milice bourgeoise prend la dénomination de garde nationale : quarante huit mille citoyens s'enregistrent en un jour, constitués en seize légions avec hiérarchie militaire, avec à la tête La Fayette. Les provinces s'empresseront d'imiter Paris et prononceront le serment de maintenir les décrets de l'Assemblée Nationale et de protéger la liberté de ses membres par les armes.

 

Certainement, la population sorézienne suivit cet exemple et constitua une garde nationale à Sorèze. Mais notre document est le premier à faire état de cette garde nationale. Il n'y a rien sur ce sujet aux archives municipales : seul un document de l'An VI (1797) évoque la présence de cette garde nationale sorézienne (3) .

 

Comment les historiens ont élaboré l'apostrophe de Mirabeau ?
Adolphe Thiers, dans son Histoire de la Révolution française (1823 - 1828), l'un des premiers ouvrages d'historien sur cette période, dépeint ainsi la scène :

« Le marquis de Brézé, grand maître des cérémonies, rentre alors et s'adresse à Bailly : « Vous avez entendu, lui dit-il, les ordres du roi. » Et Bailly lui répond : « Je vais prendre ceux de l'Assemblée ». Mirabeau s'avance : « Oui, Monsieur, s'écrie-t-il, nous avons entendu les intentions qu'on a suggérées au roi ; mais vous n'avez ici ni voix, ni place, ni droit de parler. Cependant, pour éviter tout délai, allez dire à votre maître que nous sommes ici par la puissance du peuple, et qu'on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes ». M. de Brézé se retire. »

DOM-FERLUS

Portrait de François Ferlus Directeur du collège de Soréze.

bronze-juin 1789

 

Bien que Mirabeau ne fut pour rien dans la création de cette garde nationale et ne l'eut jamais commandée, le corbillard avec son corps fut porté par la garde nationale, tandis que son cœur fut placé dans une voiture suivant le corbillard.

 

On peut imaginer que, lorsque Dom Ferlus se vit attribuer la tâche que lui demandait la garde nationale et tous les citoyens de Sorèze, les souvenirs littéraires revinrent en foule à l'esprit de ce professeur de rhétorique (nous dirions maintenant professeur de français), et tout particulièrement celui de Bossuet à la Cour de Louis XIV.

 

Tout le texte est un long effet de manche assez ennuyeux et creux : il n'y a pas de trace d'un fait historique, d'un renseignement, d'un détail qui permettrait de se raccrocher aux réalités. « Venez donc et voyez... Voilà tout ce qui nous reste du plus beau génie qui éclairait l'Europe: voilà ce Mirabeau que tous les peuples écoutaient en silence. qui maîtrisait par l'influence de ses talents un empire de vingt cinq millions d'âmes! Il pensait et il créait des lois sublimes, il parlait et toutes les résistances cédaient à sa voix... »

 

« Poussière, tu n'es que poussière et tu retourneras à la poussière », thème religieux chrétien s'il en fut !... Puis Ferlus s'interroge : « Sans doute je voudrais pouvoir dire : Mirabeau si grand, par son génie, le fut aussi par la pureté de ses mœurs... » .

 

Hélas! Hélas! Mirabeau ne brillait guère par ce côté là de sa personnalité.

 

Bien au contraire, l'exposé de ses démêlés avec la vertu traditionnelle le rapprocherait davantage de son illustre contemporain. le marquis de Sade, que de son autre contemporain, le vertueux Louis XVI dont la tête ne tardera pas cependant à rouler dans un panier de son. Mais qu'importe! « Il a dicté des lois propres à les faire renaître (les vertus) », « Il fut l'admirateur des rois amis du peuple etc... ». « Ses démarches publiques portèrent toujours l'empreinte de la générosité etc. ». Conclusion : « Sur ton tombeau, aux pieds de la statue qu'on te prépare, le citoyen viendra électriser son âme et s'enflammer de l'amour de la chose publique, etc... ».

 

Cette adulation générale se transforma en haine lorsque, peu d'années plus tard, sous la Convention. dans une cachette d'un mur des Tuileries, on découvrit une petite armoire en fer avec de bien graves documents, apportant la preuve que Mirabeau avait reçu des subsides de la couronne.

 

En réalité, au fur et à mesure que les déconvenues s'enflèrent entre le pouvoir royal et les aspirations révolutionnaires, le rôle de Mirabeau devint plus ambigu : ce n'était plus l'ardent révolutionnaire que l'on pensait. Il penchait davantage vers un rapprochement avec le trône qui aurait pu réconcilier à ses yeux les Français entre eux (4) . Le buste de Mirabeau fut bafoué et pendu en place de Grève à Paris, et ses restes retirés du Panthéon, où ils avaient été placés à côté de Rousseau et Voltaire.

 

Le bénédictin de Saint-Maur François FERLUS porte encore, dans notre document, le titre de DOM qui était réservé aux membres de cet illustre ordre monastique. Très tôt, Ferlus avait montré son attachement aux idées nouvelles. En 1787, dans un discours « prêché » aux Etats du Languedoc, il parlait déjà de « patriotisme chrétien ». Puis en 1790, il réfléchissait à « l'Influence que doit avoir la Révolution sur l'éducation de la Jeunesse (5)» . Né à Castelnaudary en mai 1748, il était entré très jeune dans la Congrégation de Saint-Maur et, preuve de ses multiples connaissances, il devint professeur de littérature et de sciences naturelles au Collège de Sorèze. Mais, comme il l'avouait un peu plus tard à l'Agent National de Castres, sa vocation religieuse fut très douteuse : « Il y a vingt et un ans qu'on me fit prêtre pour se conformer aux usages du corps auquel j'étais attaché. Je n'ai jamais rempli aucune des fonctions publiques attachées à ce titre... Depuis la Révolution, je n'ai jamais cessé de propager les principes de l'égalité et de la Raison ». Aussi son éloge de Mirabeau est-il vibrant et sincère, même s'il est hyperbolique.

rue ferlus

 

Quoi qu'il en soit de ses convictions personnelles, Ferlus n'avait pas encore jeté son froc aux orties. La rupture fut consommée à quelques temps de là, lorsque, le 24 juillet 1791, devant deux membres du Directoire du Tarn, accompagné de cinq anciens bénédictins, il prêta le serment civique. De toute évidence, pour en revenir à notre « Éloge de l'Homme Public », Ferlus n'aurait pas accepté d'être affublé du titre monastique de « DOM » après son serment civique.

 

Le texte du discours fut donc envoyé à l'imprimeur et imprimé entre la date où il fut prononcé, le 6 avril 1791, et le 24 juillet 1791.

 

 

 

Par la suite. François Ferlus (6) prendra la direction du Collège à la place de Dom Despaulx qui refusa de prononcer le serment à la Constitution Civile du clergé et, malgré de grosses difficultés à la fois financières et politiques, il maintiendra la renommée du collège à un certain degré de notoriété.

 

Lorsqu'en mai 1899 l'autorité militaire demande à la Municipalité de Sorèze d'indiquer par des plaques les noms des rues et des places de la ville, « pour éviter de chercher aux soldats lors des grandes manœuvres », son nom fut choisi pour une des rues principales de Sorèze (délibération du 9 février 1890).

 

Une énigme demeure encore. En quel endroit de Sorèze cet éloge fut-il prononcé ? Le titre nous précise qu'il fut public et certainement prononcé devant une grande foule. Peut-on envisager qu'il fut prononcé sur la place publique, en plein air ?

 

Vu la longueur du texte et les effets oratoires qu'il nécessitait, l'église paroissiale n'existant pas encore en 1791, nous pencherions plutôt pour ce que l'on appelle maintenant « l'Abbatiale », ancienne chapelle du couvent des Bénédictins et qui servait, au moment des faits, d'église paroissiale. Ce qui conviendrait bien à ce que nous pouvons imaginer de l'époque concernée, période de transition entre une certaine permanence des traditions de l'Ancien Régime et la ferveur patriotique et civique qui lui fit suite... pendant un certain temps! .

 

 

Notes

- (1) D’après LE RAVELIN n°12 – juillet 2002 – p. 4-6. ( réalisé par la Commission Culture de la Mairie de Soréze)

- (2) Comte et Abbé de Montgaillard, Histoire de France depuis la fin du règne de Louis XVI, II, p. 289.

- (3) Il s'agit d'une « Instruction du Département relative au remplacement des chefs et soldats et aux peines de discipline contre ceux qui sont obstinés à ne point faire leur service » (Archives Municipales, 3H1). Depuis 1789 l'enthousiasme pour cette milice populaire semblait s'être évanoui...

- (4) voir sur l'ensemble de sa vie politique l'ouvrage de Jean-Jacques Chevalier : « Mirabeau, un grand destin manqué » (Hachette, 1947). « Trop révolutionnaire pour la Monarchie, trop monarchiste pour la révolution » porte la bande-annonce ajoutée à ce livre par l'éditeur.

- (5) Voir Magloire NAYRAL, Chroniques Castraises, I, Tome 2. p.165 sq: " FERLUS (François, Dom)(SIC)

- (6) Sur François FERLUS voir Fabre de Massaguel. « I' Ecole de Sorèze, etc... » p.211 et l'ouvrage de Marie-Odile Munier, « Sorèze, une abbaye, une école » p.207 sq

 

L'édition par la Garde Nationale de Soréze de l'éloge funèbre de Mirabeau par Dom Ferlus